A l’origine issue de la détermination des indemnités d’un préjudice environnemental, les méthodes visant à calculer une estimation du prix de la biodiversité et par extension de la nature semblent une injure au bon sens.

Comment donner une valeur, autre bien sûr qu’un simple coût de reconstitution se traduisant par un prix de matériaux et main d’œuvre employés amortissables, à un paysage, à des espèces naturelles végétales et animales, à des services apportés en termes de gestion de l’eau, d’accumulation de carbone, de bien-être, etc. ?

Pourtant, le besoin d’une telle estimation existe. Mieux, il est aujourd’hui rendu nécessaire afin de permettre une appropriation de la protection de la biodiversité par le monde économique et de ce fait, de la rendre effective et grandissante.

L’argent est un vecteur permettant la comparaison, qui parle au plus grand nombre et permet ainsi une prise en compte généralisée, une compréhension facilitée de tout élément ainsi valorisé.

Les entreprises comme les collectivités, après une sporadique prise de conscience puis une accélération depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, se sont mis à se tourner vers des mesures en faveur de la nature. Les actions se multiplient sans que l’on puisse aisément distinguer les bonus apportés à la biodiversité du green washing. C’est à qui plantera un arbre, louera des ruches, recréera des îlots de biodiversité, des zones humides, des haies, etc.

Au-delà de cet engouement qui ne peut qu’être positif à défaut au moins pédagogique, certaines entreprises sont passées à la dimension supérieure, avec une volonté non seulement de mesurer l’impact qu’avaient réellement ces interventions sur l’environnement mais également de les traduire in fine financièrement.

Pourquoi vouloir valoriser la nature ?

Cette évaluation revêt trois buts identifiés à ce jour :

  • D’un point de vue basique, pour permettre une valorisation accrue des biens immobiliers, notamment par certaines foncières en quête de toujours plus de valeur pour leur immeuble et donc leur fonds,
  • De façon plus sophistiquée, pour pouvoir communiquer non plus seulement sur les investissements mais sur leurs effets en termes d’accroissement et d’impact sur l’environnement, et ainsi s’assurer que les actions sont bien vertueuses ;
  • De manière ultime et en vue de changer de paradigme, afin d’autoriser une incorporation dans le bilan des sociétés au travers de la comptabilité dite en triple capital, prenant en compte tant les actions délétères engendrées par l’activité de l’entreprise que celles bénéfiques venant en compensation.

Pour autant, une fois que l’on affirme la nécessité d’une valorisation, le faire revêt d’une gageure, si l’on veut dépasser les lieux communs de l’évaluation de la compensation carbone (pourtant déjà pas toujours forcément évidente).

Des méthodes ont été élaborées ; elles partent généralement toutes d’une décomposition des services écosystémiques rendus par la biodiversité. On en distingue généralement 3 majeurs :

  • Les services de prélèvement: la nature est vue comme pourvoyeuse de nourriture, d’eau, de bois, de ressources génétiques, de molécules actives, etc. ;
  • Les services de régulation: la fixation du carbone, la régulation des maladies autrement actuelles avec la crise COVID, l’épuration des eaux et le rôle tampon dans leur montée, etc.
  • Les services culturels comprenant d’une part le tourisme, d’autre part les aménités environnementales recouvrant sous ce terme des bienfaits d’agrément, d’éducation, de transmission d’un héritage culturels voire de spiritualité.

Clairement, une estimation de tous ces services est impossible. Comment évaluer les aménités environnementales particulières ou bien l’action dans la régulation des maladies de telle haie, de telle zone humide ou de telle forêt ?

L’estimation de l’expert foncier se fera donc de manière partielle et approchée, usant de méthodes différenciées en fonction des types de services évalués.

L’estimation sera partielle car elle restera, par définition et premièrement, nécessairement anthropique, avec pour but une valorisation qui n’a de sens que pour l’homme. Elle restera également partielle car seuls les bienfaits et actions directs pourront être évalués, laissant sur le côté bien des services indirects aujourd’hui largement non quantifiables.

Distinguer au préalable la plus-value écologique du green washing

L’application de méthode de valorisation n’est possible qu’aux actions disposant de critères clairs et établis.

Un parallèle peut être fait entre finance et engagement écologique ; il n’est pas le fruit du hasard mais bien celui d’une réalité portée par la sphère économique au travers des engagements extra financiers et la sphère financière via certains placements « verts », à telle enseigne que l’AMF a publié le 11 mars 2020 une recommandation visant précisément à « éviter les risques de green washing ». https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/communiques/communiques-de-lamf/finance-durable-et-gestion-collective-lamf-publie-une-premiere-doctrine-en-matiere-dinformation-des

On notera que ce document appelle à des objectifs mesurables et des engagements significatifs.

Selon nos propres critères, on peut retenir à cet effet la « règle » des 4D, permettant – lorsqu’on a des velléités d’actions en faveur de la biodiversité – de ne pas jeter son argent par les fenêtres.

Ainsi, tout comme un placement financier qualifié de sécuritaire, une action susceptible d’être favorable à la biodiversité se doit de tendre vers :

  • une action directe: les aménagements bénéficient directement à la nature et aux espèces aidées et n’en sont pas un contrecoup. (Le parallèle avec le placement financier peut se comprendre en se rappelant la crise des subprimes, placement hautement indirect) ;
  • une diversification: la biodiversité c’est la diversité du vivant. Une action en faveur d’une seule espèce est peu profitable et peut être même contre-productive. (De la même manière, on privilégie les placements diversifiés gages de sécurité) ;
  • une durabilité dans le temps : une action « annuelle » n’a aucun sens lorsque le but recherché est de tendre vers la recolonisation d’espèces vivantes. (De même, un placement sécuritaire s’échelonne sur plusieurs années) ;
  • Et de disposer, enfin, d’un développement mesurable : les aménagements doivent permettre le développement de la biodiversité, un gain net (pour reprendre les termes de la loi de 2016) et non sa stagnation. (Là encore, la comparaison avec les placements peut se voir dans l’espérance de gain ou pour le moins l’absence de perte en capital).

Pour exemple, l’implantation de ruche révèle ainsi sa nature essentiellement indirecte en faveur de la biodiversité : c’est bien la pollinisation par les abeilles et non les abeilles elles-mêmes qui amène une éventuelle biodiversité, alors difficilement voire non quantifiable. De même, il s’agit d’une seule espèce, domestique (les abeilles dépendent de la Direction des Services Vétérinaires comme les animaux de ferme) et non de pollinisateurs sauvages. L’action est enfin non durable : l’arrêt de la location des ruches signe la fin de l’action. A contrario, l’implantation de ruches accompagnée de plantations d’un cortège de plantes vivaces mellifères et nectarifères est une action bien plus intéressante.

L’implantation d’une toiture végétalisée, quant à elle, peut poser question : si l’action est bien durable, une toiture trop simple, de 10cm d’épaisseur et sans étage, faite d’orpin bâtard, espèce classée comme potentiellement envahissante, a même un effet contraire et délétère sur la biodiversité.

C’est donc en premier lieu l’exigence de la qualité de l’action en faveur de la biodiversité qui permettra de disposer d’un aménagement susceptible de pouvoir être valorisé. L’expert en ce sens ne retiendra que les actions permettant une valorisation dont la redondance permettra la comparaison par la mesure de l’accroissement des services écosystémiques au cours du temps.

Comment valoriser les actions en faveur de la biodiversité ?

La valorisation prend évidemment en compte tout d’abord le coût, comptable, d’aménagement.

C’est d’ailleurs le sens des décisions de justice rendu généralement pour l’indemnisation d’un préjudice ou bien lors d’expropriation : on compense par le coût initial de recréation. Ce dernier est toujours bien loin de la perte réelle : ce n’est pas la plantation de baliveaux de 50cm de hauteur qui compenseront l’arasement d’une haie centenaire…

Ce coût de (re)création constituera pourtant le coût à l’instant « zéro », au niveau « de base » de la valeur, le coût initial duquel on part.

Tout l’enjeu pour l’expert foncier sera donc d’évaluer, à la date de la mission, l’étape à laquelle se trouve l’aménagement en question, entre ce niveau de base et le niveau maximal tel qu’il est attendu et à partir duquel on évalue la somme des services écosystémiques rendus.

L’évaluation de ces services se fait selon des méthodes adaptées en fonction des typologies de service ; par exemple, pour certains services de régulation (ex. épuration des eaux), selon le coût de supplétion, pour des services de prélèvement selon les bénéfices produits, etc. L’évaluation de la fixation et du stockage du carbone est, quant à lui, celui le mieux documenté mais ne peut en aucun cas suffire.

Pourquoi agir en faveur de la biodiversité ?

A défaut de voir immédiatement le monde d’après que l’on nous promet au soir de cette crise du COVID, s’impliquer dans la réalisation de mesure qualitative en faveur de la biodiversité est devenue une évidence au plan économique – pour reconstituer les ressources consommées, et même une urgence sanitaire, comme le rappelle un article du Museum National d’Histoire Naturelle faisant le lien entre le COVID 19 et l’altération de la biodiversité au niveau mondial.

Et vous, que faites-vous pour la préservation de la biodiversité ?

https://www.mnhn.fr/fr/recherche-expertise/actualites/covid-19-pandemie-biodiversite-maltraitee